Si vous êtes à la recherche d’une lecture captivante et riche en émotions, alors Chroniques de Méthée est le recueil de nouvelles qu’il vous faut ! Avec 10 histoires courtes aux sujets variés, vous serez transporté dans des univers différents à chaque page. Vous vivrez des aventures passionnantes, des histoires d’amour touchantes, des moments de découverte personnelle et bien plus encore. Découvrez-en une chaque soir avant de dormir.

Chacune des nouvelles de Chroniques de Méthée a été soigneusement écrite pour offrir une expérience de lecture unique et inoubliable. Les personnages sont attachants et les histoires sont écrites de manière à vous faire vous sentir immergé dans l’action.

En lisant Chroniques de Méthée, vous aurez accès à un recueil de nouvelles qui vous divertira, vous émouvra et vous fera réfléchir. C’est une lecture idéale pour les amateurs de fiction, mais aussi pour ceux qui cherchent à découvrir de nouveaux auteurs talentueux. Alors n’hésitez plus et offrez-vous cette aventure littéraire unique Chroniques de Méthée dès maintenant !

Xavier Seignot (Prix polar 2018 – salon de Rambouillet) et Johanna Valdizan (Finaliste du concours de nouvelles JDE 2016) allient leur plume pour vous immerger dans le tumulte des ruelles de Méthée : ville où se déroulent, entre autres, les romans Au Jour le jour et Némésis.

L’avis des lecteurs

Nouvelles courtes ou nouvelles longues, il y en a pour tous les goûts.
Je n’ai pas lu les autres romans de Xavier Seignot, mais je n’ai pas été perdue lors de ma lecture de ce recueil car on comprend vite qui sont les personnages, et les différentes histoires sont très vite prenantes.
Le recueil dans son ensemble m’a beaucoup plu, je le recommande à quiconque serait intéressé par l’univers de Méthée !



Une des dix histoires à lire intégralement

Exister

La porte claqua. Sa mère venait de rentrer. Elle attendait ce moment depuis que le Soleil avait décliné derrière l’horizon et que sa nounou avait tiré le rideau de sa chambre. Comme chaque soir.

À l’autre bout du couloir, la jeune fille l’entendit retirer ses chaussures, sa veste, remercier la jeune étudiante qui arrondissait ses fins de mois en jouant les baby-sitters. Manon se sentait trop grande pour être gardée par quelqu’un le soir, elle était en sixième, quand même ! se disait-elle. Mais c’était de cette manière que sa mère se sentait mère ; en dépensant pour l’éducation de sa fille.

Manon l’entendait de sa chambre, impatiente, la tête dépassant de sa couverture, comme tous les soirs. Et comme tous les soirs, elle attendait son baiser avant de rejoindre les bras de Morphée. Mais ce baiser n’était jamais venu.

Comme tous les soirs, elle s’endormait en se berçant de la voix étouffée de sa mère qui échangeait des heures avec ses collègues d’Absolute People sur les derniers ragots sur les stars.

« Bonne journée, ma chérie ! » lui lança-t-elle en quittant la maison comme si elle était en retard.

Ma chérie… Manon esquissa un sourire que la femme n’eut même pas le temps de remarquer. L’adolescente voulut percevoir quelque chose d’affectueux dans ces mots. Elle repensa au ton avec lequel sa mère venait de les employer. Mais non, c’était le même genre de « Ma chérie » qu’elle utilisait parfois au téléphone quand elle s’adressait à son assistante ; quelque chose entre le formel et l’habituel.

Manon préféra ne pas écouter la petite voix qui lui soufflait de flancher. Elle préféra garder en mémoire que sa mère travaillait beaucoup, qu’elle faisait ça pour elle, qu’il n’était pas facile d’élever une enfant seule. Elle préféra garder cela en mémoire parce qu’au fond, elle aimait sa mère, mais aussi, parce qu’elle n’avait pas le choix. C’était mieux de penser ainsi, de se dire que si les choses avaient changé entre elles, ce n’était pas de la faute de sa mère ; elle qui avait subi une poignée d’années en arrière un divorce déchirant où son mari était parti sans se retourner pour les bras d’une secrétaire respirant la jeunesse ; elle qui devait poursuivre sa vie avec sur les épaules le fardeau du souvenir d’une famille unie, des dimanches au parc, des soirées devant un film et des Noëls au coin du feu.

Alors non, la jeune fille se refusait d’en vouloir à sa mère. Les choses étaient ainsi, et il fallait composer avec.

Elle prit son sac de cours, regarda l’heure, et claqua à son tour la porte derrière elle.

« Eh Manon, tu viens avec nous à la cantine ? lui demanda Juliette, une camarade de classe.

– Oui, bien sûr… »

La sonnerie venait tout juste de retentir que déjà le sol vibrait des chaises qui grinçaient et que les couloirs se remplissaient de cris enjoués des élèves.

À midi trente tout se jouait à qui était le plus rapide pour rejoindre l’entrée du self-service et ainsi avoir les plats du jour les plus chauds. Chacun savait qu’aux derniers infortunés on ressortait les repas asséchés de la veille et remis au goût du jour par un détour au micro-ondes.

« T’as ta carte ? J’ai oublié la mienne…

– Pas de souci, tu me paieras demain ! » répondit Manon, un sourire aimable.

Elle n’avait rien contre l’idée d’avancer un repas, toutefois, c’était les jours où Juliette pensait à sa carte que cela devenait étonnant.

Manon était cette fille, celle qui n’oubliait pas sa carte, celle qui notait tous ses devoirs et à qui on empruntait l’agenda entre deux cours, celle sur qui on pouvait copier les exercices car elle les faisait sans jamais faillir. Elle était cela ; la Manon studieuse et irréprochable.

« Beurk, encore des haricots verts ! lança Amandine, une nouvelle qui s’était vite intégrée à la vie du collège.

– Je vais prendre deux desserts, je crois… Ils voient jamais rien… »

La circulation était lente, on avançait à petits pas, on s’arrêtait, glissait des yaourts discrètement dans les sacs de cours avant de reprendre.

« Vous avez vu le mec à la télé, hier soir ? demanda Juliette en se servant une pomme.

– Qui ? fit Amandine.

– Tu sais celui qui se déguise en noir ? Avec un nom chelou… »

Dans un premier temps, Manon resta silencieuse. Elle savait à quoi faisait référence son amie ; il s’agissait du nouveau sujet à la mode parachuté par tous les médias de la ville. On s’arrachait les infos exclusives, bien que tout n’était que rumeurs et fantasmes.

« Tu parles du Némésis ? reprit Amandine quand la queue s’arrêta de nouveau.

– Ouais, voilà ! T’as vu les infos ? demanda de nouveau Juliette qui n’attendit aucune réponse. Ils ont dit qu’il aurait tabassé un mari violent !

– Waouh ! Trop fort !

– Eh, les filles, vous allez pas me dire que vous croyez à tout ça ? lança une autre fille de quatrième qui se tourna vers elles.

– Bah quoi ? Ils l’ont dit aux infos, et y’a des images sur internet !

– Pff, c’est des légendes urbaines tout ça, vous êtes trop naïves…

– On croit en c’qu’on veut ! Tu vas voir, quand il va débarquer chez toi ! »

Quelque chose interpela Manon à cet instant-là, ce n’était pas vraiment les pseudo-exploits de ce soi-disant justicier, non, elle savait bien que tout cela était gonflé par les adorateurs de celui qu’on appelait désormais le Némésis, c’était plutôt le fait qu’on en parle autant. Il était dans toutes les bouches, toutes les oreilles, toutes les conversations depuis trois semaines. Sa mère avait même fait une édition spéciale d’Absolute People : Némésis, les secrets du justicier.

Tandis que cet individu n’existait très certainement pas, et qu’il n’était sans doute que le fruit d’un immense canular orchestré par une bande de rigolos doués en montage photo, il s’emparait de toutes les consciences, il fascinait. Est-ce que c’était ça, exister ? se demanda alors Manon. Après tout, cette chose, cette rumeur, n’était-elle pas plus vivante que n’importe quel individu qui attendait à cet instant son plat dans cette chaîne d’humains ?

Elle baissa la tête vers son plateau, aperçut son image dans la surface argentée du couteau. Elle n’y vit qu’un reflet sans saveur.

La porte claqua. Sa mère venait d’arriver. Elle salua aimablement la baby-sitter sans ajouter un autre mot, puis s’installa dans le fauteuil du salon. Avec les années, Manon avait appris à déchiffrer chacun des sons étouffés par le couloir et l’escalier de la maison. Elle reconnaissait également la marque de cigarettes que fumait sa mère à l’odeur mentholée qui s’infiltrait dans la chambre malgré la porte close.

Une nouvelle journée s’achevait.

Juste un espoir de plus qui s’envolait.

Manon ferma les yeux. Des images flottaient dans son esprit ; les mêmes, inlassablement, celles de son enfance.

Elle voulut les chasser pour plonger dans un sommeil qui lui tendait les bras, et pourtant, malgré les heures qui défilaient, quelque chose la retint éveillée.

L’envie de savoir.

Vers deux heures du matin, elle perçut les résonnances des pas nus de sa mère sur le sol quittant sans doute son fauteuil, son verre de bordeaux et son téléphone portable afin de retrouver son lit. Manon espéra en silence. Peut-être qu’elle viendrait, peut-être qu’un bref coup d’œil dans l’entrouverture de la porte, que voir sa fille dormant paisiblement, suffirait à la réconforter.

Mais rien. La porte de chambre de la femme se referma. Il n’y eut plus aucun bruit.

Au fond, Manon le savait. Elle savait que ce n’était qu’un désir de petite-fille ingrate qui en demandait sans doute trop.

Malgré les heures, le sommeil ne vint toujours pas. Quelque chose était là, tapi dans un coin de sa tête.

Sans trop savoir où aller, ni pourquoi, la jeune fille se leva, fit les cent pas. Soudainement, une douce lumière l’attira comme un papillon ; celle de la ville nocturne filtrée par les rideaux. Certes, la lumière était faible, toutefois, à cet instant, elle ne vit qu’elle, comme hypnotisée. Elle l’attirait, lui demandait de venir.

Manon s’approcha de la fenêtre d’un premier pas hésitant, se demanda ce qu’elle faisait là, dans le noir, alors qu’elle avait cours le lendemain. Puis, un deuxième pas plus engagé, convaincu à l’idée qu’elle ne faisait rien de mal. Et enfin, un dernier qui lui confirmait qu’elle aussi avait le droit de vivre, d’exister. La jeune fille ouvrit les rideaux dans un geste délicat afin de ne faire aucun bruit : la ville s’ouvrait à elle depuis la hauteur de sa chambre.

Méthée la nuit avait cette couleur orangée des lampadaires et des trainées de lumières emportées par les voitures. Elle avait ce bleu étrange du bitume froid, ce vacarme lointain qui se perdait dans le silence. Manon s’appuya contre le rebord de sa fenêtre, la tête dans le creux de ses mains pour contempler ce tableau. Il était grandiose, terne, intrigant, terrifiant.

Cette ville était à l’image de la légende qui rôdait dans ses ruelles : le Némésis.

Manon sourit à cette pensée. À vrai dire, elle n’avait jusque-là pas d’opinion là-dessus. Pourtant, à la vue du spectacle qui s’étendait devant elle, cette ville sombrement lumineuse, elle comprit pourquoi on racontait des choses sur ce spectre, cette rumeur. Elle ouvrit la fenêtre pour mieux capter l’ambiance qui émanait de l’obscurité des entrailles de la ville, elle eut presque envie de tendre la main pour la toucher, la connaître.

Némésis était là, terré dans l’ombre, invisible, sans doute inexistant, mais présent dans l’esprit de tous malgré tout. Il fallait qu’elle trouve cette chose, qu’elle le rencontre, qu’elle comprenne.

D’un coup de tête, Manon s’empara de son manteau, enfila un jean à la va-vite, des gants, puis se souvint des rares images floues aperçues sur internet du Némésis ; une ombre en noir encapuchonné sous une écharpe. Elle fit alors de même. Son écharpe était rose, mais tant pis, elle ferait l’affaire. Enfin, elle plongea sa tête dans la capuche de son manteau.

Elle trouverait le Némésis ! Elle vivrait ce que cette chose vivait sûrement !

La fenêtre était à une poignée de mètres au-dessus du sol, une chute et l’excursion se terminerait ici. Elle passa une jambe dans le vide, tenta d’y trouver une prise, et après un instant, ses orteils rencontrèrent de quoi se maintenir. Puis, Manon décida alors de passer la seconde jambe. D’un coup, le vide paraissait bien plus haut. Elle eut envie de se raviser un instant, de retrouver la chaleur douillette de son lit, de dire merde à toutes ses envies subites. Soudain, sa main appuyée contre le rebord de la fenêtre glissa, son pied gauche suivit le mouvement, son buste tapa alors l’encadrement, et par chance, la jeune fille parvint à s’agripper de sa seconde main. Son cœur tambourina vivement. Sa respiration se bloqua sous l’émotion.

Sa mère l’avait-elle entendue ? S’était-elle réveillée ? Elle n’en savait rien… Afin de rester discrète malgré l’ouragan qui venait de frapper à sa fenêtre, Manon resta un instant dans cette position statique. Toutefois, il n’y eut en réponse qu’un silence inaltérable depuis la chambre de sa mère, une fois de plus.

À cette hauteur, il ne lui restait plus qu’à balancer son corps vers la gauche, et avec un peu de dextérité, et de chance, à franchir d’un bond les poubelles sans se rompre le cou.

Une fois au sol, en un seul morceau, une vive excitation lui donna l’envie de courir, bondir, hurler. C’était une énergie nouvelle qui s’emparait d’elle.

Que faisait-elle ici, à cette heure-ci ? Elle n’en savait rien, mais ça n’avait aucune importance.

Elle habitait dans les quartiers huppés de l’ouest de Méthée, et si elle voulait avoir une chance de croiser le spectre de la nuit, ou du moins de ressentir ce que ce dernier pouvait ressentir, il lui faudrait sûrement rejoindre la côte plus à l’est.

Elle s’aventura à l’inconnu dans la rue qui descendait vers le centre-ville, car, à vrai dire, elle ne connaissait aucun autre chemin que celui pour se rendre à son collège ou celui qui la menait à son cours de danse deux fois par semaine. Néanmoins, cela ne l’intéressa pas, à quoi servait de prendre autant de risque pour des lieux déjà si connus ?

Nan, elle voulait découvrir, se perdre, explorer. Son pas était encore incertain, fuyant quand une voiture passait, tremblant quand des sirènes retentissaient au loin, mais vibrant d’un épanouissement singulier.

Elle n’avait fait qu’errer à travers les méandres de la nuit, et pourtant, c’était une découverte sans nom. Alors que ses camarades hurlaient dans la cour de récréation pour s’envoyer le ballon de foot et que d’autres partageaient les dernières vidéos qui faisaient le buzz sur internet, Manon resta encore plus silencieuse qu’à son habitude. La jeune fille était entourée de son groupe d’amies, toutefois, son esprit, lui, était plongé dans les ruelles nocturnes de Méthée. Elle revoyait les faisceaux de lumières qui passaient, le chant des sirènes, l’odeur des bars ouverts jusqu’à pas d’heure, elle ressentait encore le froid qui s’infiltrait dans ses vêtements. Parce que bordel, qu’est-ce que ça caillait !

Mais ça en avait valu la peine. Le froid était devenu agréable, un ami qui avait motivé ses pas. La peur s’était imposée comme un allié pour vivre encore plus intensément l’excursion. Et Méthée était maintenant une île mystérieuse où chaque recoin demandait à être découvert.

Elle se sentait vivre, exister. Comment les autres pouvaient-ils se contenter de la prison du collège ? De la prison des plannings bourrés à craquer ? Elle avait ce sentiment singulier d’avoir fait quelque chose d’unique ; d’être libre.

Bien que la jeune fille n’avait pas réussi à écrire la moitié des cours de la matinée tant le sommeil s’agrippait à elle pour l’attirer dans les bas-fonds du monde des songes, bien qu’elle sentait ses yeux brûlants de fatigue et ses paupières lourdes, elle ne regrettait rien. L’emballement de son rythme cardiaque au moment de rentrer au petit matin, quand sa mère était déjà réveillée, valait tous les sacrifices du monde. Manon avait ouvert la porte discrètement, suivi les déplacements de la femme en tendant l’oreille, puis, avait balancé son manteau, ses gants et son écharpe dans le fond de la cuisine en espérant que sa mère ne remarque rien. C’était insensé, mais si intense.

Quand elle l’avait croisée dans le couloir qui menait à sa chambre, Manon avait alors ressenti dans son regard un infime changement. Elle ignorait s’il ne s’était agi que du fruit de son imagination, toutefois, à cet instant, cela avait été sans doute sa plus belle récompense. Un fourmillement chaleureux lui avait mordillé les tripes pour se répandre dans tout le corps.

À force d’être considérée comme personne, elle était devenue personne. La solution s’offrait donc à elle : pour exister, il fallait laisser une trace de son passage dans ce monde.

« Eh, les filles, lança Justine, ma mère m’a dit que le Némésis a été vu cette nuit juste derrière le collège ! C’est ouf !

– Mais elle a vu ça où ta mère ?

– Bah elle écoute la radio le matin, c’est eux qui l’ont dit… »

Manon tenta de rester silencieuse, d’en apprendre plus. Elle savait que ses copines finiraient par en parler, c’était devenu le rituel de la pause matinale. Apparemment, une bagarre avait éclaté à trois rues de là la nuit précédente, et on avait aperçu brièvement le Némésis expédiant aussitôt les agresseurs à l’hôpital avant de s’éclipser dans les ténèbres de la nuit.

« Moi, j’y crois pas à tout ça, déclara une fille de la classe. C’est un flic qui se déguise…

– Tu dis vraiment n’importe quoi ! Pourquoi un flic ferait ça ?

– Bah pourquoi pas ?

– Les filles, interrompit soudainement Manon, sous le regard étonné de ses copines habituées à son mutisme, vous pensez qu’il va revenir ?

– Tu parles du Némésis ? demanda Amandine, un sourcil arqué.

– Arrête de l’appeler comme ça ! Il existe pas ! » lança la fille de leur classe.

Manon hésita, se mordilla les lèvres, puis hocha de la tête en direction d’Amandine.

« On dit qu’il est souvent vers la côte, répondit cette dernière, mais ça arrive qu’il soit aperçu vers le centre-ville. Pourquoi ? »

Manon fit mine d’avoir posé la question comme ça, juste par curiosité.

« T’as envie de le voir ?

– Hum… Qui n’aurait pas envie ?

– Manon est amoureuse du Némésis ! lâcha quelqu’un d’autre avant de pouffer de rire. Il voudra jamais de toi ! »

Là-dessus, Amandine fit un sourire rassurant à son amie ; il ne fallait pas écouter les bêtises des autres. Pourtant, Manon ne s’en était pas offusquée un instant. La plaisanterie lui avait même suscité une réflexion : Pourquoi « il » ? Après tout, pourquoi cette chose appelée Némésis devrait être un homme ?

Némésis était bien la Déesse grecque de la juste colère, la jeune fille le tenait de la bouche de sa propre prof d’histoire qui avait bifurqué un quart d’heure sur l’actualité. Némésis était une femme ! Alors pourquoi on disait Le Némésis ? Parce qu’une femme ne serait pas capable de veiller la nuit sur une ville aussi sulfureuse que Méthée ? Parce qu’une femme n’aurait pas les moyens de défendre son prochain ?

Nan ! Ce n’était pas un homme ! Manon en eut l’intime conviction. Elle était comme elle, une femme ! Et elle lui montrait la voie pour donner du sens à sa vie ; exister.

Manon se tourna vers la fille qui venait de la taquiner. Elle la fixa avant de corriger :

« De la Némésis… »

Il y eut un bref silence, presque un rire, puis Juliette voulut répliquer quelque chose au moment où la sonnerie retentit.

Ça y est, sa mère venait de rejoindre sa chambre, la maison retrouva son habituel silence. Manon put enfin s’extraire de son lit. Elle ouvrit la fenêtre, un immense sourire aux lèvres malgré la fatigue qui l’accablait, et enfila sa tenue d’excursion. La ville bourdonnait au lointain, elle pouvait presque percevoir son nom émaner des ruelles ; on l’appelait quelque part dans l’ombre. La jeune fille savait que rien ne pouvait lui arriver, que la Déesse Némésis était avec elle. Elle savait qu’elle ne faisait rien de mal, et qu’un jour sa mère lui demanderait pleine d’entrain ce que ça lui avait fait de rencontrer en vrai la légende urbaine. Elle n’écrirait plus des articles pour son magazine à partir de rumeurs colportées par des alcooliques ou des superstitieux, mais bien par le témoignage de sa propre fille.

La seconde fois, franchir la fenêtre lui parut bien plus aisé. Il n’y avait plus cette angoisse du vide, cette peur de se briser la nuque en cas de chute. Il n’y avait que cette détermination, cette confiance de celle qui savait où aller.

Il faisait froid, peut-être plus froid que la veille, mais qu’importe, c’était dérisoire face à sa mission. Après une poignée de minutes, Manon quitta sa rue où les villas de privilégiés se succédaient les unes aux autres pour traverser le pont qui rejoignait le centre-ville.

Au moment où une patrouille de police fonça dans sa direction, le gyrophare peignant les façades des immeubles, Manon eut le réflexe de se cacher derrière un panneau publicitaire. S’ils tombaient sur une jeune adolescente seule, encapuchonnée, sans pièce d’identité, après minuit, il était évident qu’elle finirait la nuit au poste. La voiture fonça vers les quartiers au sud, là où un immense parc prenait vie dès que les derniers rayons de Soleil rendaient l’âme. Elle se dit alors, qu’un jour, il faudrait s’y rendre. Dans l’immédiat, elle avait une autre destination.

Quand la ruelle déboucha sur une grande avenue animée par un chant d’ivrogne, elle découvrit un monde qu’elle n’avait qu’entraperçu à la télé ; le tumulte des bars, les railleries d’une bande de jeunes réunis autour d’un véhicule de grosse cylindrée, des femmes sur le trottoir qui interpelaient les passants. D’autres se baladaient en couple, accoutumés à cet univers, des chiens errants demandaient l’aumône.

Manon fut fascinée par le spectacle, c’était une autre société qui prenait vie dans l’ombre. Les panneaux colorés des enseignes illuminaient la scène où se jouait cette comédie des Humains.

La jeune fille garda bien son visage dissimulé dans sa capuche et son écharpe rose ; il ne fallait en aucun cas qu’on ne la remarque, qu’on ne pose le regard sur elle.

Alors, elle préféra se terrer dans une petite rue afin de rejoindre les environs du collège. C’était comme ça que la Némésis devait procéder ; rester toujours dans l’ombre tandis que le monde s’agitait sous les faisceaux lumineux. Il fallait donc imiter son modèle, s’inspirer d’elle, suivre ses pas pour se fondre en elle.

Après quelques détours, elle déboucha à proximité de son établissement qui baignait dans une singulière obscurité, quand d’un coup, un cri étouffé attira son attention. Elle tourna la tête et, de l’autre côté de la route, à une vingtaine de mètres, elle perçut du mouvement dans un groupe de personnes. En prêtant plus d’attention, la jeune fille comprit tout : un homme se faisait agresser par deux autres.

Sa respiration s’arrêta net, comme un réflexe pour rester invisible. Une douleur lui martela les entrailles. Merde ! Et si elle se faisait voir ? D’un bond, elle se plaqua derrière une voiture garée.

Le bruit d’un coup se fit entendre, puis, une tôle métallique se plia comme sous l’effet d’une charge. Manon en déduit que la victime se faisait pousser contre la porte d’un garage.

Que faire ?

Avec un peu de chance, Némésis viendrait et elle serait aux premières loges pour assister à tout ça. Toutefois, son cœur palpitant la ramena à la réalité ; Non ! Il y avait peu de chance pour que ça se produise.

Sa respiration s’intensifia, elle plaqua ses deux mains sur sa bouche afin de faire cesser le bruit haletant de son souffle.

Un cri.

Elle voulut pleurer, qu’est-ce qu’elle faisait là ? Et d’un coup, malgré la terreur, elle repensa à Némésis, la jeune fille savait qu’elle était là, à veiller sur elle. Alors maintenant, c’était à elle de veiller sur la ville.

Une détermination nouvelle lui fit contracter le poing quand elle songea à son idole. Au moment de ramper derrière les véhicules garés en file pour s’approcher discrètement des agresseurs, ses doigts effleurèrent une masse dure ; une pierre. Parfait !

Elle se plaqua contre une voiture, n’était plus qu’à une poignée de mètres de l’autre côté de la route, elle allait le faire, elle allait sauver l’individu ! Il fallait juste prendre une bonne respiration, ne penser à rien, et y aller sans se retourner.

Némésis était près d’elle, elle le sentait.

Alors, quand l’adrénaline s’empara subitement de son corps, Manon bondit de sa cachette pour foncer vers les agresseurs, la pierre bien serrée entre ses doigts. Elle brandit son arme, cavala à toute allure dans leur direction.

D’un coup, sur sa gauche, une vive lumière éblouissante, un crissement de pneu déchirant l’asphalte, un choc lourd.

Au moment d’ouvrir fébrilement un œil, Manon eut l’impression que tout était loin d’elle, inaccessible, ou plutôt, d’un autre monde. Des masses se dessinaient, prenaient forme. Des voix au loin, un bip discontinu, une odeur de produits désinfectants qui flottait. La jeune fille perçut un mouvement ; quelqu’un qui passait furtivement dans un couloir blanc. Tout était blanc. Une fenêtre sur sa gauche, un écran qui affichait un rythme cardiaque. Elle comprit.

D’un mouvement douloureux, elle tâtonna son torse, son visage, tout avait l’air en place. Puis, elle descendit vers son second bras, des pansements, des bandages, jusqu’aux doigts. Tandis que sa nuque lui lançait de bas en haut, Manon se redressa du mieux qu’elle le put afin d’apercevoir ses jambes sous le drap défait. Avec difficulté, elle put faire bouger ses orteils. Et enfin, elle voulut en faire de même avec sa jambe gauche. Ce fut cette fois-ci plus dur, plus inaccessible. Pourtant, elle crut bien la sentir, il y avait cette vive douleur qui lui martelait la cuisse. La jeune fille força davantage. Mais rien, le drap ne bougeait pas. Elle posa alors sa main sur le tissu blanc, le tira. Il n’y avait plus rien.

Elle voulut pleurer. Crier. Hurler.

Soudain, une voix empreinte d’affolement pénétra dans la chambre. Manon tourna la tête ; sa mère se jeta dans ses bras, en larmes.

Elle lâcha plusieurs mots noyés par l’émotion. Manon n’eut pas la force de répondre. Elle se mordit les lèvres, se retint, ferma les yeux.

« Qu’est-ce… Qu’est-ce que tu faisais là-bas ? » parvint à articuler sa mère durant un court instant.

Manon ne répondit rien. Que dire ? J’ai voulu vivre ? Exister ?

La femme ne reposa pas la question, impuissante.

« Il… Il est sauvé ? demanda alors Manon.

– Qu… Qui ?

– L’homme… Celui qui se faisait agresser… ? »

Déboussolée, sa mère lui fit comprendre par le regard qu’elle ne savait pas de quoi elle parlait. Elle la serra de nouveau fort dans ses bras, comme à l’époque où papa était encore là.

Quand Manon pencha la tête vers la fenêtre du sixième étage de l’hôpital, elle vit Méthée s’étaler sur des dizaines de kilomètres à la ronde. Il faisait jour. Quelque chose était différent.

« Maman ?

– Ou… Oui, ma chérie… ?

– Merci… »